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La Bande Noire est une expression désignant, dans son ultime usage, une association de spéculateurs qui, sous la Révolution française, à partir de la mise sous séquestre des biens du clergé (décrets des 13 mai et ) et des émigrés (décrets du et ), et leur vente, s'entendaient pour acheter à bas prix les châteaux, abbayes, monuments d'art les plus précieux, dans le but de les occuper, de les revendre avec profit (parcellisation des anciens domaines) ou de les démolir et d'en vendre les matériaux.
L'expression semble avoir été employée avant même la Révolution française pour désigner une forme de violence paysanne, plus destructrice que meurtrière, que l'on ne croyait pas, à tort ou à raison, spontanée.
Le premier texte explicite est un pamphlet de l'époque de l'Empire, qui parle de brigandages dus à des paysans, en particulier des dégâts forestiers, dirigés selon l'auteur par un certain Martin Beaudoin, des Andelys, décrit comme un « millionnaire ».
Quelques années plus tard, le terme se spécialise pour stigmatiser des opérations financières portant sur le rachat à bas prix de biens nationaux démolis à fin de récupération de matériaux. L'expression devient d'usage courant à partir de la Restauration, dans un contexte idéologique hostile à la Révolution.
Pour des raisons essentiellement politiques, la Révolution prononce la saisie des biens dépendant de corps sociaux qui lui sont, a priori, au moins étrangers, sinon hostiles, afin de les affaiblir, économiquement et socialement.
Sur le plan financier, la masse des biens confisqués présente l'intérêt de servir de garantie hypothécaire ou de gage à la monnaie fiduciaire que représentent les assignats.
Ce qui relève, au départ à la fin de 1789, d'une volonté de l'assemblée constituante, va être en pratique exploité financièrement par certains proches du pouvoir révolutionnaire, en profitant de l'instabilité politique et de l'insécurité ambiante.
Les ventes sont ordonnées et réglées par une série de décrets donnant des facilités de paiement aux acquéreurs, qui pouvaient échelonner leurs remboursements sur plusieurs années.
Les villes envoyèrent à la Constituante des adresses contenant les offres pour les biens nationaux qu'elles désiraient acquérir. Les particuliers furent eux aussi tentés par l'acquisition de biens immobiliers.
Lorsqu'on examine les dossiers, on réalise rapidement que les plus grosses affaires se sont faites au bénéfice de personnalités appartenant au pouvoir politique ou protégées par lui, c'est-à-dire aux nouvelles élites.
Parfois, il s'agissait de notaires et de marchands, achetant des biens et les revendant immédiatement à des paysans.
Tous les biens, dont la valeur cumulée dépassait six milliards, furent vendus en l'an III, mais à perte et dans des proportions considérables.
Pour certains, ces opérations réalisées sur les biens nationaux furent extrêmement lucratives et expliquent, encore aujourd'hui, l'origine de certaines grandes fortunes françaises[réf. nécessaire].
L'idée était d'acheter des biens nationaux à bon compte.
À condition d'être initié aux rouages de la spéculation et de bénéficier de fortes protections politiques entre 1791 et 1795, il était possible, à partir d'un investissement minimum, de centupler ou plus sa mise initiale en l'espace de deux ou trois ans.
En principe soumises aux règles de la vente "au plus offrant" en vente publique, avec annonce et affiches, les ventes avaient lieu périodiquement dans les grandes villes ou dans les plus petites communes.
Dès 1792, il y eut des ententes illicites, et certaines enchérisseurs étaient des "hommes de paille" ou des prête-noms. De nombreux conventionnels ont ainsi acquis des biens nationaux sous des noms d'emprunt.
Plus grave, de nombreux témoignages font état de manœuvres d'intimidation de certains citoyens sur d'autres, si bien que les mécanismes d'acquisition étaient faussés ; la redistribution équitable ou « démocratique » des richesses, par le biais des biens nationaux, fut donc un leurre.
Les ventes les plus importantes se firent sans publicité, dans la discrétion, sans respect des règles. Les plus gros acquéreurs, qui pouvaient étaler leurs remboursements sur plusieurs années, comptaient sur la dépréciation rapide de l'assignat républicain.
Le cas du constituant Jean-Pierre de Batz, qui acquit son domaine de Chadieu en Auvergne, a été étudié, mais il n'est qu'un exemple parmi des dizaines .
L'exemple le plus fameux est l'achat, en , de l'abbaye de Royaumont par le marquis Pierre-Nicolas-Joseph de Bourguet de Travanet, qui transforma les bâtiments conventuels en filature .
On peut également citer Antoine Joseph Santerre, Jean-Nicolas Pache, qui s'offre « à folle enchère » un ensemble abbatial à Thin-le-Moutier le pour 75 600 livres , Antoine Merlin de Thionville ou encore le comte de Saint-Simon, qui eut le projet sérieux d'acheter la cathédrale Notre-Dame de Paris pour la « débiter » et en vendre les matériaux au détail...
Tous les acquéreurs de biens nationaux, et les spéculateurs avaient en commun la volonté d'empêcher un retour à la situation d'avant 1789 et de devoir restituer les biens qu'ils avaient acquis depuis 1791.
Les activités de la Bande Noire se sont poursuivies jusqu'en 1825 et bien au-delà . Honoré de Balzac y fait référence dans plusieurs de ses romans . « La Bande noire » est le titre d’un poème de Victor Hugo figurant dans le recueil intitulé « Odes et Ballades ».
Pour accélérer la baisse du cours des assignats par rapport à leur valeur faciale et par conséquent accélérer le remboursement des acquisitions, les acquéreurs, notamment les membres de la Bande Noire, qui spéculaient ouvertement à la revente, favorisent l'émission et la distribution des faux assignats à grande échelle .
Une fabrique très importante est ainsi créée rue de la Source à Suresnes, près de Paris. Une brasserie servait de couverture à ces opérations. Une fois imprimés, ces assignats sont écoulés et « blanchis » dans les plus grandes maisons de jeu du Palais-Royal qui brassaient des sommes astronomiques, l'équivalent de plusieurs casinos.
La fabrique de Suresnes était protégée par Stanislas-Marie Maillard, salarié par le banquier Jean-Frédéric Perregaux et entra en fonction plusieurs mois avant le 10 août.
Dénoncés par les Girondins, notamment Étienne Clavière, qui était ministre girondin des Contributions publiques, les faux monnayeurs de Suresnes furent arrêtés le . On en incarcéra quelques-uns, parmi lesquels le comte de Preissac, le comte de Kératry, Étienne de Mallet, Jean-Suzanne de Sentuary, Hilarion de Louesnich, tous habitués des maisons de jeu du Palais-Royal et entretenant les meilleures relations avec les Exagérés de la Commune de Paris.
Stanislas-Marie Maillard se chargea de leur arrestation, mais il favorisa leur fuite des prisons de Paris avant les massacres de Septembre. Ils avaient été rassemblés à la prison du Châtelet qui fut l'une des dernières à avoir été visitée par les tueurs.
La fabrique de faux assignats de Suresnes reprit en octobre sous la direction de MM. Egrée, Villardy, Caradec de Kerloury, etc. Dossonville, qui avait été chargé de la répression des faux assignats par Clavière - imprudent dans le choix de cet agent secrètement proche des exagérés de la commune qui l'avaient absous au lendemain du 10 août -, s'acharna sur les petites fabrications artisanales (Champigny, etc.).
En revanche, il protégea longtemps les « brasseurs de Suresnes » qu'il n'hésita pourtant pas à sacrifier en l'an II, en commandant, contre eux, un rapport à l'indicateur de police Louis-Guillaume Armand. Ce rapport sera un de ceux qu'utilisera abondamment Élie Lacoste pour le procès dit des chemises rouges.
Plusieurs faux monnayeurs furent ainsi traduits au tribunal révolutionnaire le , et on leur adjoignit sur la charrette des cinquante-quatre, également revêtus de chemises rouges, des faux monnayeurs qui étaient passés devant un tribunal criminel ordinaire.
Au Palais-Royal, les membres de la Bande Noire et leurs amis distribuèrent la fausse monnaie, jusques et y compris dans les salons de jeu prestigieux de Mme de Sainte-Amaranthe. le système était bien rodé et beaucoup de citoyens, entrés avec de la bonne monnaie, après avoir joué au « Creps », au « Biribi » ou « à la Bouillotte », ressortaient dans le meilleur des cas avec de la fausse.
La baisse de la valeur des assignats s'accentua de façon spectaculaire et c'est ainsi qu'un versement effectué en 1793 pour le remboursement à échéances d'un bien acquis en 1791 ne correspondait pratiquement plus à rien. Mme de Sainte-Amaranthe, qui suivait le mouvement général, acquit - alors qu'elle était sans un sou en 1789 - des immeubles rue d'Hauteville, notamment un grand hôtel particulier qu'elle faisait restaurer en 1793 et le domaine de Sucy-en-Brie, château et terres.
Mais son cas n'est rien du tout par rapport à Fouché, à Perrin, à Albitte, à Joseph Le Bon, à André Dumont, à Merlin de Thionville et à tant d'autres représentants en mission ou administrateurs, tous acquéreurs révolutionnaires en assignats de biens dont la valeur réelle dépasse l'imagination.
Ce sont eux qui, révolutionnaires exagérés, se ligueront contre Maximilien de Robespierre, qui représentait un danger. Le rappel des représentants Jean-Baptiste Carrier, Joseph Le Bon, Joseph Fouché, Jean-Lambert Tallien, etc. par l'Incorruptible au printemps 1793 fut combattu par leur allié le plus sûr au Comité de salut public, Bertrand Barère de Vieuzac, devenu riche propriétaire terrien.
Les acquéreurs de biens nationaux de grande importance ou de grand rapport, c'est-à-dire de vastes domaines abbatiaux, des monuments historiques, châteaux, églises et leurs dépendances, etc. se partagent entre des membres des assemblées parlementaires de la Révolution - on compte beaucoup plus de "Montagnards" que de "Girondins" -, des membres de la Commune de Paris issue du 10 août comme le septembriseur Didier Jourdeuil, et d'anciens nobles ayant donné des gages à la Révolution (membres de la première assemblée et regardés comme traîtres par les émigrés de Coblence) et peu désireux de voir se rétablir l'ordre ancien.
Ces anciens nobles n'ont pas abandonné leurs convictions aristocratiques et peuvent s'entendre avec ceux des révolutionnaires qui, se prétendant républicains - comme le maire Pache et ses amis de la Commune de Paris, du Comité de Salut Public et du ministère de la Guerre -, ne croient pas à l'avenir de la démocratie et sont d'ailleurs prêts à tout pour installer un pouvoir à leur convenance, pour eux et leurs amis.
Il y a entre eux de nombreuses nuances et des divergences de vue, mais ce qui les rassemble est qu'ils croient tous à la libre-entreprise et au maintien des prérogatives d'une élite sur "le peuple".
Les projets d'économie politique à coloration sociale et d'ouvertures politique de la république de l'an II aux puissances neutres, qu'incarnent certains républicains aussi convaincus que Robespierre et Saint-Just, à partir du printemps 1793, doivent donc être combattus et la représentation nationale « culbutée » selon le jargon du temps.
En ce sens, les entreprises des "meneurs" - députés de La Montagne et administrateurs de la Commune -, d'abord contre les Girondins puis les projets d'épuration de la Convention elle-même par la force, s'inscrivent parfaitement dans cette logique. Or, c'est au Palais-Royal, dans la nébuleuse formée par ceux qui appartenaient à la Bande Noire, que se sont formés les projets d'exagération et de surenchère démagogique.
Ces projets ont été encouragés à dessein dès le procès de Louis XVI, par des représentants des milieux de la haute finance internationale dont la présence, en ces lieux, s'explique bien. Le banquier de cour Jean-Joseph de Laborde et son fils Laborde de Méréville participèrent activement au soutien des maisons de jeux du Palais-Royal. Laborde fut actionnaire de plusieurs d'entre elles. Des fonds à destination des « agitateurs » de la Commune furent distribués par l'intermédiaire de certains d'entre eux. Jacob Péreyra qui fut l'un des plus impitoyables persécuteurs des Girondins, avec Berthold Proly et les habitués du salon des Arcades, Desfieux, Guzman, Collot d'Herbois, Lazowski ou encore Varlet, distribuait des fonds à ses collègues.
Il avait créé avec Laborde de Méréville et Charles de Sartines, fils de l'ancien ministre de Louis XVI, une société dite des Tabacs de la Havane, plus ou moins fictive, qui servait surtout à des transferts d'argent. Péreyra se chargea de salarier ceux que l'on voulait entraîner dans la voie de l'exagération, notamment dans les semaines qui précédèrent la chute des Girondins. Le fournisseur François Desfieux était, comme le général Santerre, sous contrat avec les administrateurs et actionnaires des plus grosses maisons de jeux qui étaient souvent des distributeurs d'argent. Le ci-devant comte de Proly était lui-même en relation ancienne avec tous les financiers et agioteurs, et partie prenante dans les projets d'exagération de la Révolution.
Il connaissait de longue date le ci-devant comte de Pestre de Séneffe, Jean-Frédéric Perregaux, François Louis Jean-Joseph de Laborde de Méréville, Walter Boyd et William Ker, Guzman, Julien de Toulouse, Delaunay d'Angers, François Chabot et beaucoup d'autres députés comme l'ancien avocat Charles-Nicolas Osselin que l'on retrouvera sur les bancs du tribunal révolutionnaire pour les moins fortunés, étaient également intéressés à ce projet très cohérent. Enfin deux importants ministres, Pache - agent du duc de Castries - à la mairie de Paris puis à la Guerre et Garat à l'Intérieur soutenaient les agitateurs de la « commune rebelle ». Garat, le ministre, était un des hommes de confiance des banquiers Laborde à qui il devait sa carrière. Tout le temps de son ministère, tant que cela lui a été possible, il protégea les membres de la Commune dite « hébertiste ».
Plusieurs biens étaient acquis dans le seul but de les dépecer et d'en vendre les matériaux.
Parmi ceux-ci, on note, entre autres :
Le ci-devant comte de Saint-Simon fut d'abord un agioteur et un spéculateur sur les biens nationaux, avant de devenir l'un des penseurs les plus hardis du XIXe siècle
Les activités de la Bande Noire se poursuivent jusqu'au milieu du règne de Louis-Philippe et se terminent à peu près à l'époque où disparaissent les autorisations de donner à jouer à Paris.
Il n'existe pas d'étude sur la Bande noire et les spéculateurs sur les biens nationaux à l'époque de la première République, mais tous les historiens qui ont travaillé sur les liens entre la politique et la finance de cette époque, qui aident à comprendre les violences de la Révolution, ont abordé la question d'une manière ou d'une autre.